Le bénévolat dans les espaces verts en Californie

Le 2 novembre 2022, par Larry Ménard

La participation citoyenne dans l’espace public a des racines profondes dans la culture californienne. Force-motrice dans la préservation des espaces naturels et de la création d’espaces verts urbains, beaucoup de citoyens s’impliquent aussi par le travail bénévole pour bien les entretenir. Les contraintes budgétaires gouvernementales sont un facteur motivant, surtout depuis le passage de Proposition 13 en 1978, une initiative citoyenne réactionnaire qui a considérablement réduit les revenus issus des impôts sur la propriété, mais aussi important est le désir des individus d’embellir l’espace public en participant à un processus collectif.

Les habitants s’intéressent énormément aux espaces verts et leurs avis et leurs contributions sont les bienvenus dans le processus démocratique. Pour illustrer le degré de respect typiquement accordé aux citoyens, les réunions des Conseils municipaux à Berkeley et à Oakland, (dans la Baie Est de San Francisco), commencent par une heure d’expression publique. 

Je suis venu en 1975 à Berkeley pour étudier à L’Université de Californie, six ans après la création de People’s Park, le parc de Berkeley le plus connu et sans cesse controversé. Auparavant, c’était un terrain vague appartenant à l’Université de Californie, qui a été approprié et converti en 1969 par des centaines de citoyens en parc, un acte révolutionnaire. Le documentaire “Berkeley in the Sixties” (nominé pour un Oscar) termine avec l’histoire de “The Battle for People’s Park” (aussi un livre sorti pour la 50ème anniversaire), dans laquelle Gouverneur Ronald Reagan envoie une force d’occupation militaire, la California National Guard. 

La guerre de Viet Nam vient à Berkeley; les images sont devenues iconiques: fusils à baïonnette; grillages barbelés pleins de fleurs; hélicoptères dispersant du gaz lacrymogène de grade militaire sur une manifestation au campus universitaire, ironiquement l’endroit de la première manifestation anti-guerre en 1965; le corps du spectateur James Rector porté sur un civière, tué par une balle errante tirée par un shérif du comté d’Alameda. “Let a thousand parks bloom” était un des slogans.  

À sa création, le parc était fréquenté par le grand public, y compris les étudiants, les professeurs et les employés de l’université. Les arbres adultes étaient déjà présents, préservés au moment de la destruction des anciennes maisons. Photo de 1969, peoplespark.org
Des citoyens bénévoles réaménagent le Parc du Peuple l’année suivant la destruction total par bulldozer du paysage initial pendant l’occupation militaire. Photo de 1970, peoplespark.org
Un rassemblement public sur la pelouse centrale du Parc du Peuple pour un concert gratuit ou un événement politique. Une forêt urbaine dans le fond. Photo de 2010, peoplespark.org

[Addendum, 2024.: Après 55 ans de lutte politique et juridique, l’université a finalement prévalu cette année et le parc sera converti principalement en logements pour étudiants et, comme mesure de compromis, quelques logements pour les SDF, tout en préservant un peu d’espace vert.]


Pendant l’occupation militaire du parc, une annexe de People’s Park a été temporairement fondée ailleurs, sur le tracé du nouveau système régional de trains, le Bay Area Rapid Transit District (BART). A la suite la municipalité a commencé à négocier avec le BART pour acheter cet espace longitudinal vidé de maisons par la création du métro souterrain. Le BART a finalement concédé a la demande locale. La ville, en concertation avec les résidents, a réalisé une série de deux parcs: Ohlone Park et Cedar-Rose Park. Ohlone Park est dédié aux premiers habitants, le tribu indien, les Ohlones.

Parmi les aménagements d’ Ohlone Park sont: des pistes cyclables et pédestres, des terrains de jeu, et le premier parc canin hors laisse aux Etats-Unis. Depuis plus de trente ans, les résidents aident dans l’entretien du parc dans des “work parties” dirigés par des jardiniers municipaux.


Le volontariat est très encouragé et essentiel au bon fonctionnement des trois jardins botaniques du centre de la région de la Baie de San Francisco. Les volontaires aident les horticulteurs pour des tâches simples (mais toujours dirigées) comme le désherbage, le ratissage, et le “mulching” (paillage). Ils aident dans la propagation de plantes destinées au jardin et à la vente au public. Et ils sont de service dans les librairies et bibliothèques et donnent des visites guidées aux visiteurs. 

Le Tilden Regional Park Botanic Garden dans les collines de Berkeley, qui a une grande collection de plantes indigènes de toutes les régions de la Californie, dépend de ses “Friends” du jardin, surtout les membres de la California Native Plant Society, créée à Berkeley en 1965 pour protéger les plantes indigènes dans la nature et pour promouvoir leur utilisation dans les jardins. (J’ai souvent acheté des plantes natives pour mes clients aux ventes semestrielles de Tilden). Avec 35 branches dans l’Etat, la participation de ses membres est un facteur clé dans les jardins botaniques de plantes indigènes comme Santa Barbara ou Rancho Santa Ana.

 Des plantes emblématiques californiennes, (Ceanothus, Arctostaphylos, etc.), dans le Tilden Regional Park Botanic Garden.

L’ University of California Botanic Garden à Berkeley, qui a une immense collection d’espèces provenant de tous les continents, a beaucoup de bénévoles. De même, le San Francisco Botanical Garden (Strybing Arboretum) à Golden Gate Park bénéficie de l’implication généreuse du public.

Depuis plus de trente ans, l’entretien du vaste Golden Gate Park se fait avec l’engagement de résidents, par exemple, le beau Bosquet commémoratif des victimes du SIDA.

Sentier qui mène au Bosquet commémoratif des victimes du SIDA à Golden Gate Park.

Avec mon épouse et notre fils, j’ai habité dans un quartier à Berkeley où en 1996 notre “neighborhood association” (l’équivalent d’un CIQ), avec le soutien de la ville, avait converti un grand terrain de stationnement de voitures en mini-parc, une transformation superbe suite à un processus très démocratique. 

Ce mini-parc, sauf la pelouse, est auto-géré par les voisins. Dès sa création et pendant cinq ans j’ai été le chef de l’équipe de l’entretien de ce parc du voisinage nommé Halcyon Commons.

Quand nous avons quitté Berkeley, l’association du voisinage a fait une fête dans le parc avec un gâteau décoré pour me remercier, pour les centaines d’heures que j’avais effectuées pour développer le parc.

Halcyon Commons

L’emplacement il y a 25 ans de ce magnifique parc de voisinage au milieu d’une vaste étendue stérile et chaude d’asphalte améliore dramatiquement la qualité de vie (naturelle et sociale) du quartier. Ce mouvement citoyen du Halcyon Neighborhood Association a inspiré d’autres quartiers à faire pareil. Ailleurs à Berkeley plusieurs mini-parcs auto-gérés ont été développés, aidés par l’association de participation citoyenne, Berkeley Partners for Parks.

Quelle bonne expérience de travail collectif positif! Halcyon Commons, a été inspiré par un voisin urbaniste qui a ensuite promu le jardinage dans l’espace public par les résidents à l’échelle de la ville par la création de Berkeley Partners for Park. Un autre voisin, architecte paysagiste pour le East Bay Regional Park District, a fait gratuitement la très bonne conception paysagère du mini-parc avec des plantes méditerranéennes pour créer un espace très agréable selon les objectifs prédominants exprimés par le voisinage.

 Mon fils Loïc et une voisine en train de planter à Halcyon Commons en 1996.

Sur le site-web de Berkeley Partners for Parks on trouve cette description: “Berkeley Partners for Parks (BPFP) est un organisme municipal à but non lucratif qui se consacre au soutien des parcs et des espaces ouverts de Berkeley en encourageant la participation des citoyens. Depuis sa création en 1994, BPFP a joué un rôle déterminant en apportant des fonds supplémentaires et des milliers d’heures de travail bénévole (“sweat equity”) pour améliorer les parcs, les jardins communautaires et les espaces ouverts de Berkeley.  La participation de groupes “adoptant un parc” travaillant en partenariat avec la ville et les entreprises locales a conduit à des projets innovants et à des résultats visibles dans des dizaines de parcs et de jardins communautaires à travers la ville de Berkeley.” Parmi les co-créations ville-citoyens est le mini-parc, Schoolhouse Creek Common, composé avec des plantes indigènes et aussi des arbres fruitiers . Même certains nouveaux rond-points sont maintenus par le voisinage.

Schoolhouse Creek Common, mini-parc à Berkeley.
Pancarte à Schoolhouse Creek Common qui invite les voisins à venir faire  l’entretien du mini-parc en groupe une fois par mois.

Au centre d’Oakland se trouve Lake Merritt, un estuaire en fait, et refuge d’oiseaux depuis 151 ans, le premier aux Etats-Unis. Sur une péninsule, Lakeside Park attire les gens pour visiter ses jardins, y compris un jardin japonais, un jardin de bonsai,  un jardin tropical etc..

Il y a 20 ans certains des jardins du Lakeside Park et des bords du Lake Merritt manquaient sévèrement d’entretien à cause d’une insuffisance de main-d’oeuvre. La solution, encore une fois: solliciter plus d’aide citoyenne. Quelle transformation splendide! 29 associations, surtout horticoles, contribuent par leurs efforts et expertises.

(Voir: lakemerritt.org. Puis, cliquer sur: Gardens, Volunteer, R. Nature Center, LM Weed Warriors, Litter SOS. Il y a des vidéos explicatives, très intéressantes).

Au Jardin Japonais à Lakeside Park, Lake Merritt, Oakland.
Des plantes chinoises à Lakeside Park: Metasequoia glyptostroboides, Cornus kousa, Magnolia x soulangeana.
Paysage méditerranéen à Lakeside Park, Oakland. A noter: l’espacement des plantes pour la maturité et la bonne taille.

En Californie du Sud, les citoyens agissent aussi. A Ventura sur le port se trouve le Centre des visiteurs du Channel Islands National Park, (où ma soeur Yvonne Ménard a été ranger, chef de l’éducation et porte-parole du parc avant sa retraite récente). Devant le centre, il y a un grand jardin botanique qui présente toutes les plantes des îles, dont beaucoup sont endémiques.

Channel Islands Native Plant Garden.
Channel Islands Native Plant Garden.

Ce jardin est très bien conçu comme d’habitude, les plantes bien combinées et espacées, sans alignement, gardant leur formes naturelles et sans signe de (mauvaise) taille: un jardin naturel comme il faut pour un jardin botanique. Les responsables sont des associations volontaires: la California Native Plant Society, sans surprise, mais aussi, Master Gardeners, formés localement par l’University of California Cooperative Extension

 Selon l”American Horticultural Society (100 ans d’existence): “Le programme Master Gardener, généralement proposé par les universités des États-Unis et du Canada, offre une formation horticole intensive à des personnes qui se portent ensuite volontaires en tant que Master Gardeners dans leur communauté en donnant des conférences, en créant des jardins, en menant des recherches et en réalisant de nombreux autres projets.”


Les habitants de Ventura sont avides pour développer bénévolement de nouveaux espaces verts. Grant Park, depuis renommé Le Jardin botanique de Ventura, créé par une initiative citoyenne participative dans les collines au-dessus du centre-ville, est composé de plantes des cinq zones méditerranéennes du monde.

 Article du journal The Los Angeles Times par Steve Chawkins, le 6 jan. 2013: “Un Sentier au Grant Park donne à Ventura un nouveau point de promenade

Pendant 95 ans, Grant Park a surplombé le centre-ville de Ventura sans attirer l’attention.

Aujourd’hui, avec l’aide d’un gouvernement municipal prêt à louer les 107 acres du parc pour un dollar par an et d’un groupe de résidents prêts à réunir des millions pour un jardin botanique, il a repris vie. …

Inauguré en octobre dernier, le sentier sinueux serpente à travers des pentes et des canyons de sauge et de cactus, offrant à chaque tournant une vue imprenable sur l’océan. …

La transformation du parc broussailleux en un jardin botanique à part entière prendra des décennies, selon les partisans les plus optimistes. Le plan … prévoit cinq zones plantées d’une flore typique des régions côtières du Chili, de l’Australie, de l’Afrique du Sud, de la Méditerranée et, naturellement, de la Californie.”

Jardin botanique de Ventura, section chilienne.
Jardin botanique de Ventura, section sud-africaine
Jardin botanique de Ventura, section sud-africaine
Jardin botanique de Ventura, section sud-africaine

Amoureux des espaces verts, les Californiens civilisés ne supportent les saletés nulle part. L’élimination des déchets ou “litter” par les bénévoles se fait depuis des décennies. Sur les grandes routes on remarque parfois des panneaux (Adopt a Highway) qui indiquent qu’une association se dévoue pour nettoyer le ‘litter” des bords d’un tronçon.

Le nettoyage des côtes littorales a commencé en 1985 en Californie, officialisé par la California Coastal Commission. California Coastal Clean-up Day se passe le troisième samedi de septembre. L’Ocean Conservancy en 1986 a établit l’International Coastal Clean-up Day.

Le développement et l’entretien des sentiers de randonnée dans les parcs naturels protégés se font par des professionnels qui sont souvent assistés par des bénévoles. A Berkeley à Recreational Equipment Inc. Cooperative, (une chaîne d’articles de sports de nature), il y avait toujours un grand panneau pour annoncer des projets comme le “trail work” menés par les rangers dans les parcs régionaux.

Des bénévoles plantent des arbres et des arbustes indigènes dans l’un des 60 parcs de l’East Bay Regional Park District.

Dans la revue mensuelle du groupe environnemental, The Sierra Club, il y a des pages consacrées aux annonces de projets écologiques bénévoles. (J’ai été un membre actif du Sierra Club pendant longtemps, y compris chef de sortie de ski de randonnée pendant une dizaine d’années).

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