Le 06 février 2024, par Larry Ménard
Nous sommes à l’été 1973 et le garde forestier que nous rencontrons bien dans l’arrière-pays nous demande de présenter notre permis de randonnée et de camping en milieu sauvage pour notre séjour d’une semaine dans la High Sierra, au cœur du John Muir Wilderness, situé entre le parc national de Yosemite et l’Ansel Adams Wilderness au nord et les parcs nationaux de Kings Canyon et de Sequoia au sud, dans les montagnes de la Sierra Nevada, en Californie.
Le “backpacking boom” qui a débuté dans les années 1960 a nécessité une régulation du comportement humain pour protéger la nature le long des sentiers dans les réserves naturelles, à la fois par l’éducation et la répression.
Ce garde forestier de l’arrière-pays, qui portait un sac de 27 kilos pour ses patrouilles de plusieurs jours au cours desquelles il parcourait quotidiennement de grandes distances afin de faire respecter efficacement les protections de la nature sauvage, venait de donner une fort amende à quelqu’un pour une infraction comme déchets sauvages ou le camping dans un habitat sensible.
Jeune mais déjà bien versé dans l’éthique de la randonnée et du camping à faible impact, notre groupe, qui comprenait ma sœur Yvonne, future ranger de haut rang dans les parcs nationaux, n’a pas eu besoin d’être encadré.
Dédiée au naturaliste militant et fondateur du Sierra Club (fondé en 1892), John Muir, cette zone de nature sauvage, John Muir Wilderness, est totalement dans la tradition de la “préservation”, la protection de la nature contre l’utilisation, à différencier de la “conservation”, l’utilisation appropriée de la nature, qui étaient les deux courants protectionnistes du début du 20ème siècle. La désignation de cette zone sauvage en 1961 était le fruit des philosophies des pionniers de la préservation: Henry David Thoreau, John Muir et Aldo Leopold. Quelques générations plus tard, des amoureux de la nature consciencieux les ont succédés, toujours pour protéger la nature sauvage des exploitants rapaces des ressources naturelles, des mineurs, des bûcherons et des éleveurs.
La protection de la nature dans les zones sauvages (wilderness) et les parcs nationaux est une affaire sérieuse, avec des réglementations souvent strictes et vigoureusement appliquées.
Selon les principes des préservationnistes les plus puristes, tout signe de présence, d’altération ou de perturbation humaine doit être réduit au minimum. Par conséquent, en dehors des sentiers bien conçus et entretenus, avec des panneaux de signalisation aux jonctions tous les autres signes de présence humaine sont à éviter :
- Lorsqu’il existe des sentiers, les randonneurs devraient bien y rester pour minimiser l’impact sur la nature avoisinante. La devise de l’époque “Leave only footprints” (ne laissez que des empreintes) demandait aux randonneurs de ne pas laisser d’autres traces de leur passage que des empreintes de pas, qui seraient pour la plupart confinées au sentier.
- Les sentiers sont délibérément limités en nombre pour minimiser l’impact sur la nature et le plus souvent sont bien dessinés en fonction de la topographie, fournissant une expérience agréable et pittoresque au visiteur. Beaucoup de sentiers des parcs nationaux les plus anciens ont été aménagés par le Civilian Conservation Corps, l’un des programmes d’emploi de la Grande Dépression (New Deal), et nombre d’entre eux ont été bien construits pour durer, pour résister à l’érosion.
- Marquer les sentiers avec de la peinture est une pratique considérée comme indésirable, non naturelle, laide, vulgaire et par conséquent elle n’est pas commun. Puisque les sentiers sont généralement bien faits, définis et entretenus et que les sentiers secondaires, y compris les raccourcis, ne sont pas tolérés, le balisage continu des sentiers avec de la peinture brillante sur les rochers et les arbres n’est pas nécessaire.
- Si le sentier disparaît en traversant un terrain très rocailleux, il serait démarqué non pas par de la peinture mais par une ligne brisée de rochers pour permettre l’écoulement de l’eau et de petits cairns de pierre seraient présents.
- Le déplacement de pierres, de bois, etc. pour des constructions artificielles de toute sorte est interdit et sanctionné. Pas de cairns géants, d’abris contre le vent, de murs dans les campings ou de foyers, car seuls les réchauds de camping sont autorisés.
- Et lorsqu’on se promène hors des sentiers, il faut faire attention où l’on va et sur quoi on marche, en ne s’aventurant pas dans des habitats sensibles, en ne provoquant pas d’érosion et en ne piétinant pas les plantes, tout comme un jardinier qui étudie chaque pas dans un parterre de fleurs.
- Dans l’arrière-pays, il n’y a ni route ni structure. Il n’y a ni gîtes, ni refuges, sauf quelques rares exceptions. Dans les cinq immenses parcs de la Sierra Nevada susmentionnés, on ne trouve que deux petits refuges de ski très anciens, dont la construction a précédé l’interdiction totale de toute modification humaine.
- Les randonneurs de plusieurs jours doivent donc être entièrement autonomes en termes d’abri et de nourriture. L’emplacement des campings et les activités associées ne doivent pas porter atteinte à l’écologie de manière significative. Il est donc interdit de camper dans les marais, les prairies, le long des cours d’eau et des lacs, ainsi que sur la végétation sensible. Les excréments doivent être enterrés profondément. Tout cela est régi par des règles spécifiques qui doivent être respectées. Le camping étant le seul abri possible, on peut monter sa tente pendant la journée, parfois une nécessité pour affronter une tempête, et la laisser en place lors d’excursions allégées de la journée, escalader des sommets, etc.
- La chasse est interdite, ce qui permet de protéger la faune.
- L’exploitation forestière n’est pas autorisée, bien que des brûlages dirigés aient lieu pour des raisons écologiques en raison de la suppression historique des incendies naturels, ou de l’enlèvement très limité d’arbres pour des raisons de sécurité.
- Tous les ruminants domestiques, y compris les moutons, les chèvres et les bovins, sont également interdits. Ils ne sont pas permis à modifier fondamentalement le paysage, à compacter et à éroder les sols, à empêcher la croissance d’espèces végétales, notamment d’arbustes et d’arbres, à faire une sélection artificielle des espèces de plantes ou à concurrencer les animaux sauvages telles que les cerfs.
Ce haut niveau de protection dans les parcs nationaux et le “wilderness”, avec un objectif de “préservation”, doit être distingué du statut bien moindre de protection des Forêts Nationales, avec un objectif prétendu de “conservation”, où les ressources naturelles ont souvent été exploitées pas toujours judicieusement. La devise sur le panneau des Forêts Nationales, “Land of Many Uses” est parfois modifiée par des écologistes militantes pour lire “Land of Many Abuses”.
Préservation de la nature dans les parcs du Colorado à la Californie
Pendant mes vacances de l’automne dernier dans des États de l’Ouest, j’ai documenté la protection de la nature le long des sentiers dans des parcs nationaux et d’État, spécifiquement pour cet article, pour souligner à quel point l’éthique de la préservation est répandue et comment elle est encouragée et appliquée quand c’est nécessaire.
Près de l’endroit où vit mon frère Alex, à Ridgway, dans le Colorado, au pied des montagnes San Juan, se trouve le parc national du Black Canyon of the Gunnison, créé en 1999.
Le long des sentiers relativement courts menant aux points de vue sur les canyons, facilement accessibles au grand public, des mesures de contrôle ont été mises en œuvre pour réparer les dommages causés par la marche hors sentier.
Dans la ville de Montrose, près du parc national de Gunnison, certains habitants sont des activistes pour les espaces verts et des bénévoles dévoués.
A voir:
À la sortie de la ville, un sentier longeant la rivière Uncompahgre et traversant une série de parcs publics est entretenu par des bénévoles. Dans la tradition des citoyens qui se consacrent à l’enlèvement des détritus le long des autoroutes à la campagne, Adopt a Highway, et d’autres à l’entretien des parcs urbains, Adopt a Park, il existe actuellement un programme national dans lequel des associations “Adopt a Trail”.
Ayant moi-même “adopté un sentier” sur la Côte Bleue, il est rassurant de voir que je ne suis pas seul au monde dans ce nouvel mouvement de bénévolat.
A voir:
Par exemple, à Fort Collins, au Colorado, le Service national des forêts bénéficie de l’aide de citoyens bénévoles dévoués. A voir :
A la frontière du Colorado et de l’Utah, le Hovenweap National Monument préserve les vestiges de la tribu Ancestral Pueblo, dont les descendants de notre époque sont les tribus Pueblo du Nouveau-Mexique et les Hopis de l’Arizona.
Les parcs nationaux de l’Utah reçoivent une très forte fréquentation, avec des tonnes de touristes européens, dont la plupart n’ont pas été endoctrinés à l’éthique du “rester sur le sentier “, essentielle dans ces environnements fragiles. La protection des ressources naturelles et culturelles du parc national de Capitol Reef est un combat permanent contre l’ignorance et la malveillance.
Comme il se doit, il n’y a aucune tolérance pour les graffitis et pour la destruction, la dégradation ou le vol d’inscriptions indiennes, de pétroglyphes.
Le Grand Staircase-Escalente National Monument, dans le sud de l’Utah, géré par l’agence fédérale Bureau of Land Management, mène également une campagne concertée contre les graffitis et le vandalisme.
Dans le parc national de Zion, au sud-ouest de l’Utah, la guerre a été déclarée au vandalisme, dont la définition est assez large.
Dans les parcs nationaux et d’État de Californie, des mesures similaires ont été mises en place pour contrôler les mauvais comportements humains : par l’éducation et l’application de la loi.
Des panneaux et des barrières protègent la nature dans le parc d’État Andrew Molera, sur la côte centrale de la Californie.
Le panneau suivant, affiché par les “Concerned Mountain Bikers”, admet ouvertement que le VTT est intrinsèquement destructeur et qu’il accélère l’érosion à un degré incomparable à la marche.
Dans le parc national des Pinnacles, en Californie centrale, des mesures de mitigation réduisent l’érosion des sentiers.
Au nord de San Francisco, sur la côte du comté de Mendocino, les parcs d’État abondent et des mesures de protection appropriées sont instituées.
Comme le dit souvent Ralph Nader, pionnier du mouvement pour les droits des consommateurs et des recours collectifs (class action) contre les sociétés dans les années 1960, il suffit d’un noyau d’activistes politiques déterminés et diligents pour organiser un mouvement visant à provoquer un changement politique, comme dans le cas de la création de parcs naturels. Deux exemples récents suivent.
A voir, l’article complémentaire: