Préservation des espaces verts dans la région de la baie de San Francisco

Le 26 octobre 2019, par Larry Ménard

La Californie et surtout la Région de la Baie de San Francisco a une longue histoire d’être très souvent au premier plan mondial pour la préservation et conservation de la nature. Contre l’exploitation des ressources naturelles à outrance comme la dévastation et pollution occasionnées par la ruée vers l’or, les coupes des forêts anciennes pour le bois, etc., une opposition de plus en plus conséquente s’est développée vers la fin du 19ème siècle, y compris parmi les élites capitalistes influentes: certains capitaines d’industrie et des administrateurs et professeurs universitaires (U.C. Berkeley et Stanford). 

En 1892 à U.C.Berkeley et Stanford, l’organisation pionnière de préservation américaine est née, le Sierra Club, avec John Muir comme président, dont le premier objectif était de créer les parcs nationaux Yosemite et Séquoia dans les montagnes des Sierra Nevada. Le Sierra Club était la force motrice derrière la création du National Park Service et sa philosophie de l’interdiction de toute exploitation commerciale, empêchant l’extraction de bois et de minéraux et la présence destructrice de ruminants, ce qui n’a rien à voir avec la même classification en France où au coeur des parcs nationaux comme dans le Mercantour,  on coupe les plus vieux arbres et à certains endroits les ruminants sont si nombreux qu’on a du mal à trouver un coin pour un bivouac sans bouses de vache ou de mouton. En France, il n’y a pas de “wilderness”; aux Etats-Unis 3% des forêts sont toujours vierges, situées surtout dans l’ouest, grâce aux organisations comme le Sierra Club, Sempervirens Club (1905), et Save the Redwoods League (1918). 

La Save the Redwoods League persiste toujours et a acheté en 2011 les 30% qui restaient d’une ancienne forêt de séquoias et de sapins de Douglas destinée à être coupée en bordure de la rivière Noyo, à Mendocino, sur la côte nord.

Les “redwoods” anciens (Sequoia sempervirens) les plus visités au monde se trouvent juste au nord de San Francisco dans le comté de Marin au Muir Woods National Monument (établi en 1908), une vallée d’arbres majestueux achetée par un spéculateur de terres riche, William Kent, exprès pour la protéger en la donnant au gouvernement fédéral. Le comté de Marin a un tiers de sa superficie en parcs nationaux, d’état ou de comté. En plus, par le zonage et “agricultural land trusts” Marin protège beaucoup de ses terres agricoles. 

Muir Woods National Monument (photo du National Park Service)

Les collines et petites montagnes qui entourent la baie sont pas mal protégées en parcs naturels: Big Basin Redwoods State Park (1902), le Mount Tamalpais State Park (1963), le Mount Diablo State Park (1921), le East Bay Regional Park District (60 parcs, 49,000 hectares, commençant dans les années 1930).

Mount Tamalpais State Park. C’est ici qu’est né en 1977 le vélo de montagne moderne, les premiers prototypes descendant le mont Tamalpais, le plus haut sommet du comté de Marin. Le VTT a rapidement généré des conflits considérables avec les randonneurs, les coureurs et les cavaliers et a suscité des inquiétudes au sujet de la terrible érosion qu’il provoquait. Après de vifs débats, le vélo tout-terrain a été banni de tous les sentiers à voie unique et a été confiné aux larges pistes. (photo du Golden Gate National Parks Conservancy).
Carte des Parcs régionaux de la baie d’Est. Les collines de Berkeley and Oakland qui dominent la baie sont surmontées d’une ligne presque ininterrompue de parcs régionaux. Le parcours du Skyline 50 km Trail Run, qui a débuté en 1982, suit la ligne de crête de ces collines, traversant plusieurs parcs régionaux.
Dans la forêt brumeuse du parc régional de Redwood à Oakland. Forêt de deuxième génération. Avant que les premiers Anglo-Saxons ne coupent à blanc tous les arbres exploitables, les premiers explorateurs espagnols qui naviguaient dans la baie utilisaient cette forêt de séquoias autrefois gigantesque, située au sommet des collines d’Oakland, comme point de repère lorsqu’ils naviguaient dans le brouillard.

Point Reyes National Park a été créé en 1962 avec le soutien massif de l’opinion publique et des élus. Avec ses arbres déjà exploités et plusieurs ranchs laitiers et un village présents, la péninsule de Point Reyes est devenu l’un des premiers parcs nationaux urbains. Ce parc au nord de San Francisco a été un modèle pionnier pour incorporer des activités humaines préexistantes dans un parc naturel, tout en atténuant les impacts écologiques négatifs.

Au début des années 1990 L’Union Calanques Littoral m’a demandé d’obtenir des rangers du Point Reyes Visitor Center, la charte ou la déclaration de mission du parc, en raison des similitudes avec Les Calanques de Marseille.

La Plage Sculptée dans le Parc National de Point Reyes.

Depuis les années 60, l’association Save the San Francisco Bay lutte pour rétablir la baie polluée et restaurer l’écosystème des marais salants considérablement remplis. Le Greenbelt Alliance et plusieurs “land trusts” essaient de protéger des promoteurs de banlieues trop excentrés les terres agricoles et les zones limitrophes. 

Presque toute la Côte Pacifique au nord et au sud de la Baie de San Francisco est en parcs. La loi du littoral pour la Californie (1971) est appliquée efficacement par le Coastal Commission et un public vigilant, pas comme en France. Il n’y a pas de constructions sauvages comme en France faites en contravention de la loi; en Corse les défenseurs de leurs côtes, souvent sans recours politique, sont regrettablement réduits à faire exploser les constructions illégales. On peut dire que le S.F. Bay Area a vraiment une culture verte bien ancrée depuis quelques générations. Les zones urbanisées sont entourées par de vastes paysages vertes en générale peu modifiés.



A l’intérieur des villes la présence de la nature, parcs, paysages, espaces publics varie selon l’histoire d’actions citoyennes pour contrer les promoteurs rapaces et pour promouvoir une politique d’urbanisme qui améliore la qualité de la vie. 

Ainsi, Berkeley, depuis toujours avec un public en grande partie éduqué, a mieux réussi à diriger son accroîsement en établissant beaucoup plus de parcs que son voisin, Oakland, historiquement une ville ouvrière dominée politiquement par de grandes corporations industrielles et par les promoteurs immobiliers.

San Francisco dans les années 1870 a fait un parc urbain grand de 412 hectares, Golden Gate Park, qui traverse à moitié la péninsule, donc facile d’accès, d’une conception pastorale comme Central Park, inspiré par la nature sauvage, donc pas de lignes droites, introduisant la campagne dans la ville avec ses forêts qui donnent l’impression d’être naturelles où on s’échappe de la ville et on peut être heureux. Un grand terrain de jeu pour les petits a été construit en 1888, suivi par des terrains de sports. Un parc si naturaliste qu’on a témoigné cette année du passage des lions de montagne (pumas) dans le parc qui poursuivaient les chevreuils!

Entrée du bosquet commémoratif du sida dans le parc du Golden Gate.

A l’exception de San Francisco, cependant, la faible densité démographique de la Région de la Baie, sa suburbanisation dépendant de la voiture, ses maisons détachées avec jardins, a crée une réalité cauchemardesque de circulation pire que Los Angeles, de la multiplication de surfaces pavées et de la pollution de l’air, surtout depuis l’arrivée de quelques millions de nouveaux résidents attirés par l’explosion des industries de high-tech à Silicon Valley, San Francisco et ailleurs dans la région. Malheureusement, la Métropole Aix-Marseille a également subi une périurbanisation intense, avec les mêmes effets délétères, notamment les pires embouteillages et la pire pollution de l’air du pays. 


Le parc de Berkeley le plus connu et sans cesse controversé est “People’s Park”, auparavant un terrain vague appartenant à l’Université de Californie, approprié et converti en 1969 par des centaines de citoyens en parc, un acte révolutionnaire. Le documentaire “Berkeley in the Sixties” (nominé pour un Oscar) termine avec l’histoire de “The Battle for People’s Park” (aussi un livre sorti pour la 50ème anniversaire), dans laquelle Gouverneur Ronald Reagan envoie une force d’occupation militaire, la California National Guard. 

La guerre de Viet Nam vient à Berkeley; les images sont devenues iconiques: fusils à baïonnette; grillages barbelés pleins de fleurs; hélicoptères dispersant du gaz lacrymogène de grade militaire sur une manifestation au campus universitaire, ironiquement l’endroit de la première manifestation anti-guerre en 1965; le corps du spectateur James Rector porté sur un civière, tué par une balle errante tirée par un shérif du comté d’Alameda. “Let a thousand parks bloom” était un des slogans.  

Une petite section de la fresque du Parc du Peuple représentant la création du parc.

[ Addendum, 2024.: Après 55 ans de lutte politique et juridique, l’université a finalement prévalu cette année et le parc sera converti principalement en logements pour étudiants et, comme mesure de compromis, quelques logements pour les SDF, tout en préservant un peu d’espace vert.]

Pendant l’occupation du parc par la Garde Nationale de Californie, une annexe de People’s Park a été temporairement fondée ailleurs, sur le tracé du nouveau système régional de trains, le Bay Area Rapid Transit District (BART). A la suite la municipalité a commencé à négocier avec le BART pour acheter cet espace longitudinal vidé de maisons par la création du métro souterrain. Le BART a finalement concédé a la demande locale. La ville, en concertation avec les résidents, a réalisé une série de deux parcs: Ohlone Park et Cedar-Rose Park. Ohlone Park est dédié aux premiers habitants, le tribu indien, les Ohlones. 

Parmi les aménagements d’ Ohlone Park sont: des pistes cyclables et pédestres, des terrains de jeu, et le premier parc canin hors laisse aux Etats-Unis. Depuis plus de trente ans, les résidents aident dans l’entretien du parc dans des “work parties” dirigés par des jardiniers municipaux.

Les associations Urban Creeks Council et Urban Ecology ont mené un mouvement pour convaincre la municipalité de mettre à jour une petite section du ruisseau de Strawberry en établissant en 1983 un nouveau parc, Strawberry Creek Park, où auparavant ce ruisseau central avait disparu sous du béton, comme le Jarret à Marseille.     

Dans les années 1990, de nombreux quartiers de Berkeley, désireux de verdir leurs quartiers, de créer des espaces communs et un sentiment de communauté dans un monde de plus en plus dépersonnalisé, ont proposé à la ville la création de mini-parcs, ainsi que de ronds-points paysagers, dans lesquels les habitants seraient les principaux participants à tous les aspects du processus, en influençant la conception réalisée par les architectes paysagistes et surtout en effectuant une grande partie de l’entretien.

Le mini-parc Halcyon Commons, dans lequel j’allais être très impliqué pour son développement initial et son entretien en tant que chef de l’équipe de l’entretien, était le précurseur de tant de petits espaces verts à venir. C’est de là qu’est née l’association Berkeley Partners for Parks.

Halcyon Commons, auparavant un parking.

La plus grande lutte récente entre les intérêts des citoyens et ceux des spéculateurs immobilières dans le East Bay de San Francisco s’est terminée favorablement pour les villes de Berkeley, Oakland, Richmond,  Emeryville, Albany et El Cerrito contre un des plus puissants propriétaires de l’état, Catellus Corporation, (société dérivée des monopoles de chemin de fer: Southern Pacific et Santa Fe Railroads), avec la création de Mclaughlin Eastshore State Park en 2002 sur la baie.

Le Golden Gate Bridge au coucher du soleil, vu depuis le Mclaughlin Eastshore State Park.

L’achat des terrains privés de Catellus autour du Berkeley Marina a été financé par un initiative citoyen approuvé par les électeurs de Californie, juste comme l’achat du Headwater’s Forest Reserve de Humboldt County en 1999, un forêt vierge de Sequoia sempervirens sauvé en grande partie avant d’être saccagé par des coupes blanches par Pacific Lumber. Cette résistance d’action directe non-violente de Redwood Summer en 1990 organisée par Earth First a popularisé le tactique du “tree-sit”, employé encore en 2007 contre la coupe d’un petit bosquet de chêne-verts de la côte de Californie sur le campus de l’Université de Californie à Berkeley. Même l’ancienne maire centriste Shirley Dean a passé deux jours dans ce tree-sit. Le projet de construction a finalement été modifié, réduisant l’impact sur le paysage.


The incredible history of San Francisco Bay Area preservationism is recounted in the recent book by Richard Walker, Professor Emeritus of geography at U.C. Berkeley, entitled “The Country in the City: The Greening of the San Francisco Bay Area”, not available in French translation. 

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