Le 29 janvier 2024 par Larry Ménard
Il y a une quinzaine d’années, j’ai fait une randonnée autour des Tre Cime dans les Dolomites en Italie. Le sentier parallèle à la crête avait récemment été entièrement rénové et était excellent. À un moment donné, le sentier fait un long zig-zag sur une pente raide. Malgré ce tronçon de sentier en lacets bien conçu qui descendait progressivement, deux sentiers raccourcis très raides et fortement érodés qui marquaient le paysage avaient été créés par des randonneurs imprudents et impatients qui n’étaient pas conscients des dégâts qu’ils causaient.
En tant qu’Américain peu habitué à rencontrer une telle destruction de l’environnement dans une réserve naturelle, j’ai décidé d’enquêter pour savoir pourquoi un pourcentage important de randonneurs empruntait ces deux sentiers raccourcis très indésirables. Pendant près d’une heure, j’ai interrogé toutes les personnes qui venaient de descendre ces sentiers ravinés, non autorisés. Ce que j’ai appris était déconcertant. Aucun des randonneurs à qui j’ai parlé n’avait conscience qu’il contribuait à la dégradation de l’environnement en ne restant pas sur le sentier. En fait, ils ne connaissaient pas du tout l’éthique de “rester sur le sentier”.
Depuis lors, j’ai constaté que des progrès, souvent très limités, ont été faits pour minimiser l’impact négatif des humains le long des sentiers en divers endroits en Italie et en France.
Dans la Vallée de Saint Pons
Dans une culture méridionale où la conscience de l’impact destructeur du piétinement de la végétation et de l’érosion quand on marche hors des sentiers établis est minime, des moyens de contrôle drastiques et couteux mais efficaces ont été utilisés par nécessité dans la Vallée de Saint Pons à Gemenos par le département, avec des panneaux explicatifs bien faits, postés à plusieurs reprises sur les barrières.
Sur la côte en Bretagne
En Bretagne, la côte est bien protégée le long du sentier des douaniers entre Douarnenez et Audierne. Je viens de la découvrir en randonnée sac à dos avec mon épouse. Il y a des pancartes partout: certaines éducatives sur l’écologie et l’histoire, mais aussi très régulièrement des pancartes réglementaires.
Le public est encouragé à respecter: la “Restauration de la végétation. Les travaux réalisés ici favorisent la repousse de la végétation. Merci de respecter les ouvrages de protection et de rester sur les chemins.” Le danger des falaises instables est aussi constamment signalé. Il y a beaucoup de clôtures, un mal nécessaire bien respecté sauf à un endroit accessible par voiture, à La Pointe du Van.
Cependant, il y a un manque d’entretien du sentier, mal conçu deux siècles auparavant avec de nombreuses sections raides sujettes à une forte érosion. Dans de telles situations, si possible selon la topographie, il vaut mieux abandonner et restaurer les sections ravinées des sentiers et construire intelligemment de nouveaux tracés de remplacement, comme on fait aux Etats-Unis, mais c’est une grande entreprise laborieuse et chère.
(Sur la Côte Bleue, où la nature sur les terrains publics acquis par le Conservateur du littoral n’est pas encore bien protégée, le Conservateur du littoral pourrait agir comme il a si bien fait ailleurs, par exemple en Corse dans l’Agriate et à la Pointe du Cap Corse.)
Dan le Parc National des Calanques
L’amélioration du système de sentiers dans le Parc National des Calanques a été lente et limitée à mon avis, loin de l’équivalent américain où l’érosion sévère des sentiers n’est pas acceptable, où les dommages humains à l’environnement sont réparés, où les actes humains destructeurs et les sentiers secondaires ne sont pas tolérés, où les sentiers sont beaucoup mieux réalisés.
Dans Les Calanques l’interdiction des VTT sur les sentiers de monotrace, il y a quelques années, est une évolution positive mais tardive. Malheureusement, beaucoup ne respecte pas les prohibitions, par exemple, de descendre les éboulis. De lourdes amendes, qui justifieraient également le coût des patrouilles de gardes forestiers, seraient dissuasives.
Le vélo tout-terrain, qui a vu le jour dans le comté de Marin en Californie dans les années 1980, y a immédiatement suscité la controverse en raison des soucis liés à l’accélération de l’érosion et aux conflits entre utilisateurs. Depuis longtemps aux Etats-Unis il est généralement interdit sur les sentiers à voie unique dans les réserves naturelles.
La suppression des sentiers indésirables et des déplacements hors sentier a été limitée jusqu’à présent. Cependant, à Sugiton, où malheureusement le sentier balisé continue de se dégrader, un certain nombre de sentiers sauvages ont été éliminés avec un certain succès en érigeant des clôtures.
(La restauration de la nature dans la vallée des Anthénors sur la Côte Bleue pourrait bénéficier d’une solution similaire.)
J’apprécie l’approche de reconstruction des sentiers exprimée sur le site web du parc concernant le secteur du Portalet d’En-Vau:
“La portion du GR 51-98 qui était interdite d’accès est donc à nouveau accessible. Ces travaux réalisés vont permettre de limiter l’érosion des habitats naturels…”
“Le Portalet d’En-Vau est soumis à une forte érosion d’origine humaine : jusqu’à 2 000 personnes par jour empruntent ce sentier l’été. Le chantier visait ainsi à :
• redessiner le sentier pour canaliser les flux de visiteurs,
• éviter leur divagation dans l’espace naturel
• et permettre une reprise de la végétation dans des zones actuellement dégradées.
La nature des travaux (création d’emmarchements, stabilisation par ancrages de blocs…) a également permis de renforcer la sécurité du public sur certains passages délicats.
Confiés par le Parc national des Calanques à l’entreprise Eiffage, les travaux ont répondu à un haut degré d’exigence environnementale et d’intégration paysagère, avec notamment l’utilisation de matériaux d’origine locale.
Ces travaux ont bénéficié du soutien financier du Plan France Relance, du Conservatoire du Littoral et du Conseil départemental des Bouches-du-Rhône.”
(Je voudrais souligner l’éthique qui consiste à n’utiliser que des matériaux naturels, c’est-à-dire de la pierre indigène, précisément mon approche pour les barres à eau. Sur la Côte Bleue, cependant, cette éthique éclairée est absente. L’utilisation du béton est courante et se fait sans grand souci de préserver une esthétique naturelle.)
En Italie, sur la côte ligure
Le soutien à la suppression des sentiers superflus et à la protection de l’environnement naturel trouverait un public réceptif sur la côte italienne toute proche, qui est relativement avancée par rapport à notre région, comme je l’ai découvert au printemps dernier.
Près de Névache dans les Alpes du Sud
Pendant une récent randonnée sac à dos dans les Alpes, j’ai noté que des progrès ont été faits dans l’amélioration de la signalisation pour encourager les comportements respectueux de l’environnement à La Clarée près de Névache, y compris la directive essentielle de rester sur le sentier désigné, mais que très peu a été fait pour restaurer les terrains gravement touchés par les humains (et les ruminants).
À deux reprises, lorsque j’ai reproché à des randonneurs éduqués qui descendaient des sentiers raccourcis escarpés et érodés, hors du sentier balisé, j’ai été accueilli avec incompréhension et indifférence. La rééducation, si un jour c’est vraiment fait, rencontrera énormément de résistance.
Mais on sait mieux faire en France et on peut construire des sentiers bien étudiés et réalisés, comme on l’a parfaitement fait au Col de l’Arche avec la rénovation du premier tronçon du sentier GR 5 dans le Parc national du Mercantour. L’amélioration de ce tronçon en lacets a impliqué une étude attentive des écoulements d’eau et du drainage, ainsi que l’installation de barres à eau en pierre pour réduire l’érosion du sentier.
En Corse, sur le sentier littoral à Bonifacio
Sur les falaises maritimes près de Bonifacio, le Conservatoire du littoral est bien intervenu pour protéger la nature.
Dans le Massif du Garlaban, près de Marseille
Les sentiers du massif du Garlaban sont généralement si mal conçus qu’ils sont souvent terriblement érodés, recouverts de pierres meubles. Ils sont mal entretenus, la végétation le long des sentiers étant soit complètement envahie, soit massacrée mécaniquement. Les mesures de protection de la nature sont rares. Les activités destructrices, comme la pratique du vélo tout-terrain sur des pistes uniques sujettes à une forte érosion, en plus que hors sentier, sont mal réglementées. Vu l’état lamentable de la nature le long des sentiers, parfois je trouve plus agréable les parties de la randonnée sur les pistes.
Sur les sentiers américains, des barres à eau construites en bois, en rondins et surtout en pierres avec des drains latéraux sont souvent construits quand c’est utile pour atténuer les problèmes de drainage des sentiers et réduire et égaliser l’érosion. Mon expérience des sentiers d’haute altitude des Montagnes de la Sierra Nevada en Californie, avec leurs robustes barres à eau en pierre, dont beaucoup datent des programmes de travaux publics du New Deal, m’a inspiré lorsque j’ai été confronté aux problèmes d’érosion et d’écoulement de l’eau sur le sentier littoral, le GR 51 de la Côte Bleue dont j’ai entièrement rénové la section entre La Redonne- Les Anthénors- Figuières.
A voir: “Sur la Côte Bleue un immigrant ose améliorer l’espace public qui manque d’entretien”.
En plus des sentiers de randonnée dans ce secteur du Massif du Garlaban, de nouveaux sentiers sensibles à l’érosion ont été aménagés exclusivement pour les VTT et au moins un pour la course à pied.
Pire, on peut voir beaucoup de marques, des flèches en peinture rouge délavée, qui indiquent qu’il existait une course pour les trailers ici, dont le parcours était au moins partiellement, sinon entièrement, hors piste. Les coureurs plongeaient dans la garrigue, piétinant les plantes, érodant le sol en avançant sur le terrain, ce qui me sidère. Les coureurs, les organisateurs et les autorités qui ont approuvé un tel événement sont déplorables pour leur mépris suprême de la nature, réduite à une abstraction, à un simple moyen de plaisir égoïste.
Le moyen écologique de marquer un parcours de course est d’utiliser de la farine blanche pour faire des flèches sur le sol, une pratique courante en France, la norme aux États-Unis quand j’ai commencé à courir le cross-country en équipe au lycée en 1971. Ayant été coureur en club compétitif à l’âge adulte dans la région de la baie de San Francisco, spécialiste des trails en pente et du cross-country, je peux affirmer qu’aucune course de ce type entraînant une dégradation ou une altération significative de la nature ne serait jamais sanctionnée dans un parc naturel aux États-Unis.
Par exemple, même un impact mineur, une perturbation peut être sujet à une réglementation, comme cela s’est passé dans le parc national de Point Reyes où une course de trail (que j’ai gagnée deux années de suite) a dû être détournée pour éviter d’entrer dans une zone protégée (“wilderness”).
Il est assez fréquent ici que je rencontre des adeptes des sports de nature qui manifestent cette indifférence totale aux dommages qu’ils causent, des vététistes en particulier.
Dans la calanque des Anthénors, près de La Redonne, un sentier sauvage historique mal conçu monte tout droit une pente très raide de la plage, créant une zone de dévastation profondément ravinée, dénudée de végétation.
Souvent, en travaillant sur ou près de la plage, je suis intervenu quand j’ai vu quelqu’un qui commençait à grimper le complexe de faux sentiers ravinés qui émanent de la plage. A plusieurs reprises, j’ai eu affaire à des trailers et des randonneurs qui, lorsque je les informes que le vrai sentier se trouve à 150m plus haut dans le vallon, refusaient d’écouter mes supplications ou de comprendre les conséquences très négatives de l’exercice de leur liberté incontrôlée. Cette mentalité, trop présente dans le Midi, ne cesse de me choquer.
Le plus souvent aux Anthénors, les randonneurs ont été mal informés par les guides de randonnée, soit qui manquent d’indications suffisamment détaillées comme à Viso Rando, soit des informations erronées ou ambiguës comme le groupe de randonneurs locaux de Carry-le Rouet, Rando Passion, dont le très vieux topo-guide amène les gens à sortir du sentier officiel, ce qui est maintenant excellent depuis ma rénovation complète. Le topo recommande plutôt de “remonter en surplomb de la mer en prenant un sentier à droite un peu masqué par la végétation”. Incroyablement irresponsable! Je suis mécontent, vu les jours de travail ardu que j’ai passés à restaurer la partie supérieure de cette zone dévastée, toujours sujet au passage de certains. Sur leur site, il n’y a aucune mention de rester sur le sentier, d’éviter de piétiner les plantes, de provoquer une érosion inutile, d’avoir un “impact aussi faible que possible”, valeurs qui deviennent essential quand il y a un demi-million de passants chaque année sur le sentier des douaniers, le GR 51, entre La Redonne et Niolon. Les dégâts multiplient quand les gens sortent du sentier.