Repenser certaines pratiques horticoles à Marseille et ailleurs
Abattage d’arbres à Marseille pour rivaliser avec les voisins
Le 3 décembre 2022, par Larry Ménard
L’un de mes itinéraires de course à pied réguliers depuis ma maison au Camas est une boucle: Saint Pierre, Saint Jean-du-Désert, Saint Barnabé, La Blancarde, Cinq Avenues, Le Camas. En hiver, le spectacle de la série ininterrompue d’arbres à feuilles caduques et d’arbustes brutalement taillés est pour moi extrêmement déprimant. Pour la population autochtone, par contre, ce rapport violent avec le monde naturel ne choque en rien leur sensibilité. Il passe inaperçu.
L’année dernière le massacre a été particulièrement extrême. J’ai eu l’impression qu’il y avait une compétition entre voisins pour surpasser les autres dans la concurrence bourgeoise matérialiste en affichant sa richesse en ayant le plus d’arbres et d’arbustes sévèrement étêtés: “to keep up with the Joneses”.
En Californie, les gens avec des moyens financiers peuvent rivaliser pour avoir la plus grande et belle maison, la voiture la plus chère, une cuisine rénovée avec des comptoirs en granit poli, une jolie piscine, un beau jardin, etc. En revanche, massacrer les plantes de son jardin est mal regardé par toute personne cultivée. Plutôt que d’impressionner ses voisins par un vulgaire affichage de richesse en étêtant ses arbres comme à Marseille, on engendrerait leur mépris et leur dégoût. L’abattage des arbres si omniprésent dans le Midi est en fait illégal en Californie.
Dans un article publié sur le site Web de la Société d’horticulture de San Diego et intitulé TREES, PLEASE : “Stopper l’étêtage –C’est la loi“, l’auteur, préoccupé par l’application adéquate de la loi, explique: “En 1991, l’État de Californie a adopté le Public Resources Code, GOV § 53067, qui codifie l’interdiction de l’étêtage des arbres. Des ordonnances doivent être adoptées et appliquées car cette pratique n’est pas scientifique et présente un risque pour la sécurité publique, tout en menaçant la santé des arbres urbains précieux. Lorsque de grandes branches d’arbres sont étêtées, la repousse épicormique est généralement excessive et faiblement attachée. L’étêtage des arbres pour réduire le volume de la canopée ou améliorer la vue est une solution à court terme et à courte portée”.
À Berkeley en Californie, où j’ai longtemps vécu et travaillé comme jardinier paysagiste, je ne me souviens pas avoir vu d’arbres violés autres que des arbres de rue trop hauts pour les lignes électriques aériennes, en raison d’une mauvaise conception.
En plus des arbres incontestablement mal taillés, dont la santé et la longévité sont en péril, j’ai inclus les arbres en têtard, que moi-même et la grande majorité des personnes influencées par la culture anglo-saxonne trouvons déformés, non naturels et peu attrayants. Les seuls endroits où j’ai rencontré un arbre en têtard (toujours des platanes) en Californie sont des espaces publics formels, par exemple, à San Francisco: à Civic Center Plaza et au Music Concourse au Parc du Golden Gate; et sur le campus de l’Université de Californie à Berkeley: à Sproul Plaza et près du Campanile. Tous ces squares ont été créés circa 1900. En dehors de ces rares exceptions dans les espaces publics formels, l’approche générale de la taille respecte la forme naturelle d’une plante. Je ne me rappelle pas avoir vu d’arbre taillé en têtard dans un jardin privé aux États-Unis.
Peu d’Américains apprécient cette technique médiévale, un moyen utilitaire de récolter régulièrement du bois pour le chauffage et les poteaux de clôture, des branches pour la vannerie et des feuilles pour nourrir les ruminants. Il y a plus de deux siècles, les Britanniques ont commencé à trouver cette ancienne pratique répréhensible, une violation de la forme naturelle des arbres, aussi inutile à l’ère du charbon, et la pratique de l’écimage a été progressivement abandonnée au milieu du 19ème siècle et on la voit peu dans les paysages plus récents.
Egalement inclus sont les arbres des rues de la ville et les paysages commerciaux dans l’expérience globale du mauvais élagage et de la mauvaise conception.
Où sont les défenseurs des arbres à Marseille ? Pourquoi est-ce que je me sens si isolé dans ma condamnation de la taille affreuse? Le mauvais élagage est-il si culturellement ancré ici, si normalisé et incontesté, que les gens non seulement ne s’y opposent pas, mais ne le remarquent même pas? Je pense que oui.
Lequel des concurrents suivants pour le jardin le plus sévèrement dépecé gagne le premier prix selon vous? Photos prises le 4 avril 2021.
Les photos suivantes, sauf une, ont été prises juste après la “rénovation” du jardin de McDonald’s sur le Jarret.
Un de mes genres préférés est l’Arbutus. J’ai planté des Arbutus unedo et un Arbutus ‘Marina’ à Berkeley, en Californie, ainsi qu’un Arbutus andrachne et un Arbutus ‘Marina’ à Marseille.
Mon voisinage immédiat est une jungle de béton, à l’exception d’un jardin au coin de la rue qui est si laid que pour moi, qu’il ne peut être qualifié de “verdure”. C’est la quintessence de tout ce que je déteste dans la conception et l’entretien des jardins ici. Je détourne les yeux autant que je peux quand je passe devant, généralement sur le trottoir opposé. Les résidents qui paient pour cela sont de parfaits pigeons.
Ce circuit de 8 km, ma petite course à pied, une échappatoire au centre ville densément construit où la verdure dans l’espace public est rare. Cependant, il m’est difficile de communier avec la nature visible dans les jardins bourgeois que je longe. Presque tous les arbres et arbustes que je rencontre ont eu une histoire de maltraitance significative.
L’arboriculteur californien John M. Haller, dans son guide horticole intitulé “Tree Care” (Macmillan Publishing Company, 1977, 1986), déclare ce qui suit au chapitre 2, Taille: “La taille… ne signifie pas scier et couper au hasard ici et là, ni être synonyme d’étêtage (également appelé décapitation ou écornage), une pratique barbare qui ne se justifie que dans des cas très exceptionnels.” (page 21) “Un arbre correctement élagué ne devrait présenter que peu de traces extérieures du travail qui a fait de lui ce qu’il est. Sa silhouette doit être agréable, gracieuse et symétrique, et son intérieur doit être propre et ouvert.” (page 24) Les traditions ici sont aux antipodes de l’approche de Haller qui est “respectueuse des plantes”.
L’année dernière, la concurrence a été particulièrement féroce entre les voisins à la recherche d’un étalage ostentatoire et vulgaire de richesse en dépensant beaucoup d’argent pour étêter les arbres et les arbustes. Tant de candidats méritants se sont disputés les premières places, qu’il a été difficile de déterminer les trois premiers. Les trois que j’ai finalement choisis sont tous des arbres méditerranéens classiques et vénérables. Chacun d’entre eux est une espèce à croissance très lente avec une belle forme naturelle facilement mise en valeur par une taille intelligente. Chacun d’eux était très grand et très vieux, ce qui rendait le massacre particulièrement poignant et méprisable.
Mes prix:
1ère place : #24, une ligne de cèdres du Liban brutalement étêtée.
2ème place : #23, un ancien arbre de Judée massif, guillotiné.
3ème place : #67, le chêne vert que je dois tristement voir en entrant dans la rue, massacré comme toutes les plantes du jardin plus bas dans la rue.
Chacun d’entre eux recevra une plaque qui devra être installée de manière à être facilement visible de la rue, idéalement sur le mur défensif omniprésent qui rend l’expérience des promeneurs stérile. La plaque est en anglais, parce que de nos jours, tout ce qui est cool doit être exprimé en anglais, même s’il existe une bonne alternative en français:
“First [Second, Third] Place.
Neighborhood contest for the most ostentatious display of wealth and egregious mastery over nature through the appalling massacre of trees and shrubs.”
En outre, les lauréats doivent participer à une séance de rééducation de six heures afin de les déprogrammer de leur héritage horticole profondément ancré, relatif à la taille horrible.
Addendum ( le 02/01/24)
Cet hiver, j’ai constaté un certain nombre d'”améliorations” dans les paysages le long de mon parcours de course. Le chêne vert de ma rue a de nouveau été massacré.
Et il y a un nouveau candidat cette année qui a dû être mécontent de ne pas s’être qualifié l’année dernière. Voulant s’assurer la victoire, ils ont surpassé tous les habitants de leur quartier en détruisant complètement leur paysage. La première place serait incontestablement la leur.
L’inspiration initiale pour la création de ce blog est venue d’un site web de Seattle, Washington, Plant Amnesty, dont la mission principale est d’éduquer le public à une taille correcte. Les mauvaises pratiques de taille en Amérique sont beaucoup moins courantes qu’en France.
La “Gallery of Bad Pruning ” en bas de la page d’accueil fait penser à ce que l’on rencontre constamment à Marseille: “Vous seul pouvez empêcher une mauvaise taille. Regardez avec horreur la galerie des mauvaises tailles.”
Jaloux des grandes propriétés voisines de la Parette qui débordent de plantes massacrées, les habitants de la perpendiculaire rue des Bons Amis ont depuis peu fait vrombir leurs tronçonneuses pour étêter tous leurs arbres afin de s’intégrer pleinement dans la société respectable. Bien qu’elle soit techniquement en dehors de la zone du concours, cette courte rue adjacente, de type ruelle, bordée de très hauts murs, mérite d’être mentionnée. Ils ont créé un véritable paradis pour les amoureux des jardins.