Il faut empêcher l’Oxalis pes-caprae de s’établir à Marseille

19 mai 2024 par Larry Ménard

A Marseille une nouvelle menace majeure pour la biodiversité, le jardin ornemental et l’agriculture vient d’être introduite par inadvertance avec les nouvelles plantations au Parc du 26ème Centenaire: Oxalis pes-caprae, un oxalis à fleurs jaunes d’Afrique du Sud qui produit d’innombrables bulbilles minuscules et qui, s’il s’établit, sera impossible à éradiquer. Demandez à n’importe quel jardinier averti de la Côte d’Azur ou de la baie de San Francisco (comme moi), où cette plante envahissante continue à se répandre sans relâche.

Comme beaucoup d’espèces introduites, c’est une plante attrayante ; cependant, elle peut complètement coloniser les environnements naturels. Photo de Wikipédia.
Mauvaises herbes Oxalis pes-caprae à Juan les Pins près d’Antibes dans le Var.

Le 24 avril 2024, je suis allé au Parc du 26ème Centenaire pour surveiller le paysage qui venait d’être réaménagé, anticipant de rencontrer des bosquets d’arbres extrêmement denses, des arbres plantés en dessous ou trop près de ceux préexistants, des arbustes éventuellement grands plantés ridiculement près dans des conceptions sans forme. C’est précisément ce que j’ai constaté à ma grande consternation. Je ne trouve pas grand-chose à apprécier dans cette rénovation de 200 000 euros, qui est en partie une mesure destinée à lutter contre le réchauffement climatique.

Quelques mois auparavant, j’étais venu au parc inspecter le premier des nouveaux bosquets d’arbres, après avoir lu un article dans La Marseillaise (du 8 décembre 2023) célébrant l’inauguration des supposées améliorations paysagères du parc. Sur la photo, un arbre en train d’être cérémonieusement planté par Benoit Payan, le maire (DVG) de Marseille, et Nassera Benmarnia, adjointe (DVG) en charge des espaces verts plantés, est d’environ 30 cm trop profond. Je n’ai pas été du tout surpris de découvrir qu’en fait tous les nouveaux arbres avaient été plantés très profondément, mettant potentiellement en péril leur santé future et leur longévité. Veuillez consulter mon article sur la bonne plantation d’arbres :

Alors que j’examinais l’incroyable surplantation du jardin pseudo- japonais rénové, je me suis alarmé lorsque je suis tombé sur deux Oxalis pes-caprae importés involontairement avec le matériel de pépinière. Donc, j’ai cherché les jardiniers municipaux pour les leur montrer et les informer de la grande menace posée par ces deux plantes. Les deux jardiniers du parc avec qui j’ai longtemps discuté ne connaissaient pas du tout cette plante envahissante. Malheureusement, ls m’ont dit qu’ils ne pourraient pas intervenir sans autorisation dans ces nouveaux espaces pendant deux ans, jusqu’à l’expiration du contrat avec l’entreprise privée de paysagisme. Finalement, ils ont promis d’en parler à leur supérieur; on verra si leur hiérarchie est fonctionnelle. C’est absurde, comme d’habitude. Il y a urgence. J’ai tiré la sonnette d’alarme mais est-ce que quelqu’un va m’écouter. Seulement deux plantes pour l’instant, donc facile de régler le problème si on agit correctement.

Les deux plants d’Oxalis pes-caprae dans le pseudo jardin japonais, dont les fleurs jaunes sont encore fermées tôt le matin par une journée nuageuse. Photo le 27 avril 2024 avant d’être désherbés sans aucune précaution par rapport aux minuscules bulbilles. Parc du 26ème Centenaire

Le 30 avril, je suis retourné pour prendre une meilleure photo des oxalis pendant ma course à pied, mais j’ai rencontré deux jardiniers municipaux différents qui arrosaient à la main les nouvelles plantes. Ils venaient de désherber les plates-bandes et l’un d’eux avait déjà enlevé les deux oxalis. Ne connaissant pas la plante et le danger qu’elle représente, il l’avait enlevée sans aucune précaution pour éviter de redistribuer les bulbilles. Des bulbilles restent certes dans le sol, mais on peut y revenir. Cependant des bulbilles sont peut-être restées attachées aux racines des plantes qui ont été transportées et éliminées d’une manière dont je suis ignorant. Dans ma discussion avec lui, j’ai oublié de me renseigner à ce sujet. Il est trop tard maintenant car elles pourraient survivre au déchiquetage et au compostage.

J’ai immédiatement réalisé que les graves avertissements que j’avais adressés aux deux autres six jours plus tôt n’avaient pas été suivis d’effet. Quel système dysfonctionnel !


Le seul autre endroit où j ‘ai vu localement cette espèce d’oxalis classée comme menace majeure pour la biodiversité en PACA est le flanc sud de Notre Dame de la Garde, où il est localisé mais s’étend peu à peu depuis environ cinq ans. Y-a-t-il quelqu’un d’inquiet comme moi?

Oxalis pes-caprae sur le flanc sud de Notre Dame de la Garde. Feuillage jaunissant à l’entrée en dormance estivale. Photo du 15 avril 2024.

Sur la Côte d’Azur cette plante exotique très envahissante est malheureusement bien présente, parfois partout.

Selon le Conservatoire botanique national méditerranéen de Porquerolles :

Oxalis pescaprae, l’oxalis pied-de-chèvre est une espèce d’Afrique du Sud naturalisée dans le bassin méditerranéen. On pense qu’elle a été introduite à Malte au début du XIXème siècle puis s’est répandu dans toute la région méditerranéenne. Elle se développe notamment sur les terres cultivées, dans les oliveraies, les vignobles, les décombres, les jardins et les forêts ombragées. C’est une espèce bulbeuse formant des rosettes de 5 à 15 cm de haut, pouvant tapisser de grandes surfaces. Les feuilles sont légèrement velues, longuement pétiolées et présentent trois folioles en forme de cœur avec de petites taches oranges ou brunes. La floraison peut avoir lieu d’octobre à mai. Les fleurs sont jaunes, en forme d’entonnoir, à 5 pétales de 1 à 2,5 cm de long. L’oxalis pied-de-chèvre est classé dans la catégorie «Majeure » de la liste des espèces végétales exotiques envahissantes en région PACA.”


L’introduction et la prolifération d’Oxalis pes-caprae dans des jardins bien conçus et méticuleusement entretenus est une tragédie horticole, imposant d’innombrables heures et dépenses en moyens manuels d’élimination, impliquant le tamisage minutieux du sol pour enlever tous les bulbilles visibles si l’objectif final est l’éradication. Si un espace infesté peut rester inoccupé pendant plusieurs années, le placement d’une bâche en plastique opaque sur la surface du sol est un moyen efficace de tuer les plantes en les affamant.

Le plus souvent, on abandonne totalement la bataille. Dans le jardin botanique de la Villa Thuret à Antibes, on a dû renoncer en grande partie à planter des plantes couvre-sol très basses car l’Oxalis pes-caprae a pris le dessus.

Par contre, à la Villa et Jardins Ephrussi de Rothschild à Saint-Jean-Cap-Ferrat les jardiniers mènent un perpétuel combat contre cette espèce d’oxalis extrêmement envahissante. Un jour de printemps, il y a plusieurs années, alors que nous venions d’arriver au domaine pour apprécier ses magnifiques jardins, la guerre contre l’oxalis jaune était en pleine scène. Une équipe de jardiniers préparait le sol de la plate-bande de fleurs devant la villa pour la plantation d’annuelles. L’élimination de l’oxalis afin de réduire considérablement sa présence était une étape préliminaire importante du processus.

J’ai discuté avec eux, compatissant à la lutte qu’ils mènent pour éliminer cette plante très envahissante, qui est localisée et problématique à certains endroits. L’élimination éventuelle étant une priorité, toute redistribution de l’oxalis ailleurs est soigneusement évitée.

Le jardin provençal à la française qui semble exempt d’oxalis jaunes. Jardins Ephrussi de Rothschild
Le jardin espagnol qui semble exempt d’oxalis jaunes. Jardins Ephrussi de Rothschild
Le jardin exotique qui semble exempt d’oxalis jaunes. Jardins Ephrussi de Rothschild

A la frontière sud de Marseille, le Parc national des Calanques est très vigilant pour prévenir l’introduction d’espèces végétales envahissantes, dont l’oxalis jaune. Dans leur “Guide de Reconnaissance et de Bonnes Pratiques: Les espaces végétales exotiques envahissantes sur le littoral provençal” une page entière est consacrée à Oxalis pes-caprae. Elle est en effet la cinquième plante présentée dans la catégorie “Risque majeur” en raison de sa “concurrence avec la flore indigène et toxicité pour le bétail”.

Selon la description elle ” forme de nombreuses petites bulbilles souterraines capables de disperser la plante au moindre mouvement de la terre”. En ce qui concerne le contrôle, on suppose que peu de personnes désireuses de l’éradiquer s’engageraient dans le processus minutieux de contrôle manuel. La méthode suggérée consiste à supprimer la photosynthèse pendant une période prolongée par “la pose de bâches opaques [qui] semble fonctionner”.


Dans le guide botanique,”Guide de la Flore de Corse” de Guilhan Paradis, Oxalis pes-caprae est présenté ainsi que d’autres espèces exotiques envahissantes comme l’opuntia, le carpobrotus et l’agave. Selon ce professeur universitaire, Oxalis pes-caprae ou pied de chèvre a un impact très négatif sur la biodiversité:

  • Nuisances

“Par son feuillage recouvrant densément le sol, de la fin de l’automne à la mi-printemps, l’oxalis inhibe les germinations de nombreuses espèces natives. De plus, il entre en concurrence avec elles pour la lumière et l’absorption des nutriments. Par suite de l’abondance des oxalates dans ses feuilles, des empoisonnements de moutons ont été signalés.”

  • Contrôle

“Il n’est possible d’éliminer par arrachage qu’une petite population d’oxalis, c’est-à-dire dès le début de l’invasion d’une parcelle. Les grandes populations sont impossibles à éradiquer par l’arrachage.”


Étant un ancien jardinier paysagiste professionnel dans la région de la baie de San Francisco pendant 25 ans, je connais intimement l’Oxalis pes-caprae qui avait déjà commencé à envahir l’East Bay au début de ma carrière en 1980. L’un de mes premiers clients, un hybrideur de rhododendrons, m’a fait découvrir cet oxalis jaune qu’il ne laissait pas s’installer dans son jardin à partir du voisinage. Il m’a expliqué en détail comment procéder pour enlever plusieurs oxalis qui avaient récemment poussé sur sa pelouse, et j’ai soigneusement enlevé tous les petits bulbilles après avoir tamisé le sol pour m’assurer qu’il n’en restait aucun, les plaçant dans un sac destiné à la destruction. En exprimant les plus graves inquiétudes, on aurait pu avoir la fausse impression qu’il était paranoïaque. Je découvrirais par l’expérience que son obsession était tout à fait justifiée et je deviendrais pareil.

Conscient de la menace qu’il représente, je n’ai jamais permis à l’oxalis jaune d’Afrique du Sud de s’établir dans les jardins de mes clients.

Lors d’une visite à Berkeley l’automne dernier, j’ai remarqué avec consternation la présence d’Oxalis pes-caprae ici et là dans le mini-parc Halcyon Commons auto-géré par les habitants, dont j’avais été le chef de l’équipe d’entretien pendant les cinq premières années de son existence. Voir l’article:


L’oxalis pes-caprae devrait être éradiqué dans les deux endroits où je l’ai découvert à Marseille. La tolérance zéro doit être appliquée à sa moindre apparence dans les espaces verts de la ville. Les jardiniers municipaux devraient devenir des défenseurs vigilants contre toute intrusion, quelle qu’elle soit. En ce qui concerne cette mauvaise herbe exotique, une once de prévention vaut une tonne de remède.

Cette mise en garde sera-t-elle entendue?


Addendum: 28 novembre 2024

Hier, j’ai fait la malheureuse découverte de l’implantation de l’oxalis jaune d’Afrique du Sud dans un nouveau lieu, au Jardin des migrations du Fort Saint-Jean, qui fait partie du Musée des Civilisations de l’Europe et de la Méditerranée (MUCEM). Je venais de me présenter à l’un des jardiniers, en l’informant brièvement de mon blog, notamment en mentionnant cet article, quand j’ai appris qu’il était employé d’une entreprise privée très réputée du Lavandou dans le Var, Mouvements et Paysages, dirigée par Jean-Laurent Félizia, avec qui j’avais discuté à plusieurs reprises au cours des années précédentes.

Le jeune jardinier originaire de Marseille ne connaissait pas cette espèce d’oxalis envahissante et a demandé si elle était présente dans le jardin. Juste après, je l’ai trouvée dans le jardin près de l’endroit où un autre jardinier travaillait, ce jeune jardinier ne connaissant pas non plus cette plante. Je l’ai informé, ainsi que l’autre jardinier qui est arrivé peu après, que cette plante constituait une menace très sérieuse et qu’il fallait procéder avec une extrême précaution pour l’éliminer. Ils ont été très réceptifs et je suis confiant qu’eux et leur employeur finiront par l’éradiquer et qu’ils seront vigilants à l’avenir.

Comment Oxalis pes-caprae a-t-il été introduit dans le jardin ? Probablement à partir d’une plante en conteneur importée du Var.

Une petite parcelle d’oxalis jaune dans le Jardin des migrations qui peut être enlevée manuellement. Le gravier doit d’abord être retiré avec précaution, en veillant à ce qu’il n’y ait pas de bulbilles. Ensuite, il faut déterrer soigneusement chaque plante et passer la terre au tamis pour enlever les bulbilles qui s’en détachent, un travail méticuleux. Les bulbilles doivent être détruites. Le site doit être surveillé à l’avenir, étant donné qu’il est difficile de percevoir chaque miniscule bulbille, qui pourrait se compter par centaines.

Addendum: 21 janvier 2025

Comme il était tout à fait prévisible compte tenu du niveau de dysfonctionnement dans la gestion des espaces verts et de la mentalité de fonctionnaire bien ancrée à Marseille, ce que je craignais s’est produit en ce qui concerne la dissémination de l’oxalis jaune dans le Parc du 26ème Centenaire. Aucun des quatre jardiniers du parc que j’avais pleinement informés du grave danger que représentait la présence de deux plants d’oxalis jaunes dans le jardin pseudo-japonais, et que j’avais encouragés à lire cet article, n’a agi de manière responsable.

Leur supérieur a-t-il même été informé de la menace ? S’il l’avait été, aurait-il réagi ? Il y a plus de dix ans, j’ai délibérément contacté le directeur du parc pour lui exprimer mon inquiétude au sujet de la menace que représente l’ailante, présent surtout aux deux extrémités du parc, mais mon avertissement a manifestement été balayé.

Veuillez voir l’article sur l’ailante:

Depuis la séance de désherbage du 30 avril 2024 que j’ai relatée précédemment, où la terre chargée de bulbilles d’oxalis devait être redistribuée par ignorance, les plants d’oxalis se sont répandus dans les environs immédiats, présents maintenant sur plusieurs mètres carrés de terre. L’oxalis a-t-il été disséminé ailleurs au cours de l’élimination des deux plantes initiales qui ont été désherbées ? Des bulbilles d’oxalis ont-elles été répandues ailleurs lors de l’élimination des deux premières plantes désherbées ? Fort probable.

Nous sommes toujours à un point d’inflexion. Si l’éradication est entreprise sans tarder, sérieusement, avec vigilance, l’oxalis jaune peut disparaître du parc, éliminant ce point d’introduction potentiel à la ville. Sinon, sa colonisation inexorable est garantie, comme je le sais par des décennies d’expérience.

Les feuilles en forme de trèfle de l’Oxalis pes-caprae sont visibles dans tout l’espace représenté sur cette photo. Combien de centaines de bulbilles y a-t-il actuellement ?

Une partie du jardin “japonais” du parc, récemment rénové, dont la conception a une forte empreinte locale.

Quelle conception pathétique du jardin japonais. Ces alignements de rochers rectangulaires de la même taille sont antithétiques à l’art du jardin japonais et rappellent plutôt les restanques méditerranéennes. Les rhododendrons, pieris et camélias qui aiment un sol acide, l’ombre et un climat humide grilleront sous le soleil brûlant, desséchés en été par les périodes de mistral chaud et sec. Ils périront rapidement, comme cela s’est déjà passé dans l’autre débâcle du jardin pseudo-japonais du Jardin Longchamp, où les rhododendrons parmi d’autres plantes ont très vite disparu.

L’appropriation culturelle est critiquable quand la culture en question est mal comprise et réduite à des éléments stéréotypés, où la substance et l’esprit sont absents ou artificiels. Voici une partie d’un authentique jardin japonais de Lakeside Park sur les rives du lac Merritt à Oakland, en Californie, dans mon ancien quartier.

Dans un vrai jardin japonais à Lakeside Park à Oakland en Californie.

ll faut iIntervenir contre ces colonisations naissantes d’Oxalis pes-caprae : Maintenant ou jamais.

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